« Les notaires sous l’Occupation (1940-1945), acteurs de la spoliation des Juifs » : Rencontre avec les auteurs, Vincent LE COQ et Anne-Sophie POIROUX
Sous le régime de Vichy, le notariat français participe massivement à la spoliation des Juifs. Son chiffre d’affaires a quasiment doublé entre 1939 et 1942.
Le jeudi 7 avril 2016 à 19h00 au Mémorial de la Shoah, Musée au centre de documentation, s’est déroulée une conférence particulièrement importante et riche d’enseignement s’appuyant sur un livre tout nouvellement paru :
Les notaires sous l’Occupation (1940-1945). Acteurs de la spoliation des Juifs » de Vincent Le Coq et Anne-Sophie Poiroux, Nouveau Monde édition, 2015
Les auteurs de ce livre connaissent très précisément les arcanes de la pratique notariale, arcanes délicates conduisant beaucoup de justiciables à lâcher prises à la lecture d’un acte notarial.
Or, dans le cadre de leurs pratiques professionnelles respectives (l’un est professeur de droit public après avoir exercé dix ans en tant qu’avocat, l’autre est diplômée notaire et avocat au Barreau de Tarascon), les auteurs ont été amenés à se pencher sur la période de l’Occupation qui leur a réservé bien des surprises.
Il faut ainsi noter que par leur persévérance exceptionnelle, ils ont recherché des archives notariales soigneusement mises à l’écart.
Le livre révèle que le notariat a pris en puissance précisément au moment du régime de Vichy puisque le seul syndicat (Association Nationale des Notaires de France) qui n’a pas voulu se dissoudre lors de la Débacle à la différence de son rival (La Fédération des Notaires Ruraux) n’a eu de cesse que de se rapprocher de la Chancellerie de Vichy et du Commissariat générale à la question juive pour se trouver au cœur de la procédure de spoliation des biens juifs et bien entendu se rémunérer par voie de tarification.
Les auteurs ont pu décrypter nombre de manœuvres qui ont permis d’appréhender des biens des riches et moins riches clients juifs avec le soucis constant des notaires de s’exonérer de toute responsabilité tant lors de l’Occupation que lors également des premiers signes annonciateurs de la libération.
Pour exemples, deux extraits ci-après :
« …Probablement inquiet des conséquences judiciaires possibles de son intervention, Maître Michel BOUVET, notaire à PARIS, dans une vente de fonds de commerce en date du 5 avril 1944, fait expressément figurer une clause tendant à l’exonérer de toute responsabilité.
« Monsieur Vazeille( l’acquéreur) déclare:
Qu’il est de nationalité française et aryen.
Qu’il a connaissance des ordonnances allemandes concernant les biens israélites, et spécialement les ordonnances des dix huit mai Mil neuf cent quarante et dix huit octobre Mil neuf cent quarante, de laquelle dernière ordonnance le paragraphe quatre est ainsi conçu : » Toute opération juridique effectuée après le vingt trois mai Mil neuf cent quarante et disposant des biens des personnes nommées à l’article trois ( personnes israélites ) pourra être déclarée nulle par le Chef de l’Administration militaire en France. «
Il convient de préciser, ce que sauf erreur, ne précise pas le livre que l’intervention nazie représentée par le chef Chef de l’Administration militaire en France visée dans cette clause, était donc légalisée par un véritable droit de préemption, voire le fait du prince de l’Allemagne nazie sur les biens juifs. Par ordonnance du 29 juin 1940, complétée par des ordonnances des 22 et 23 juillet 1940, cet administrateur avait également donné pouvoir de contrôle étendu sur tous les établissements bancaires français à D., Dr Carl Schaefer.
» Le 22 juillet 1944, maître Joseph Martin, notaire à Avignon envisage » les biens ayant appartenu à des juifs » avec cette précision « que la clientèle est peu rassurée sur le sort de pareilles ventes, si malheureusement, nous revenons au régime d’avant guerre. »
Au lendemain même de la guerre, le Notariat désormais installé sur la place persévère dans les circonstances ci-après:
« C’est ainsi que le 16 novembre 1944, le président du Conseil Supérieur du Notariat (C.S.N.) s’assure auprès du directeur des Affaires civiles que dans la formule exécutoire figurant au pied des actes notariés, il y a lieu de substituer à la formule » Le Maréchal de France etc. » en vigueur depuis la loi du 16 juillet 1940, la formule « Le Président de la Républlique, etc. »
Mené à partir de sources inédites encore difficiles d’accès malgré l’ouverture officielle des archives, ce travail pionnier de recherche regorge de documentations et constitue donc désormais l’unique ouvrage de référence sur la mise en œuvre d’une corporation au détriment des justiciables juifs mais également des autres compagnies de notaires qui ont été légalement destituées (article 7 de la loi du 16 juin 1941 instituant le Conseil supérieur du notariat). L’ouvrage démontre la nécessité urgente d’une réforme du notariat en France.
Il expose également les limites infondées posées par la Commission Matteoli, laquelle n’a pas voulu poursuivre sa mission précisément à l’égard de ce corps de métier.
A cet égard, rappelons nous qu’en 1997, le Premier Ministre de la République française, Lionel JOSPIN, avait souhaité que soit mise en place une mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France pendant l’Occupation. La présidence fut confiée à Jean Matteoli, ancien résistant et alors Président du Conseil Économique et Social. Elle fut chargée d’étudier le mode de spoliation des biens juifs qui avaient été saisis tant par l’occupant que par les autorités de Vichy entre 1940 et 1944, d’en évaluer l’ampleur et de localiser ces biens.
Très vite, dès décembre 1997, la Commission présentait un premier rapport d’étape, suivi par un second en février 1999.
Au printemps 2000, la Commission publiait le résultat de ses travaux, un rapport général et 9 ouvrages dont voici la liste (ils furent tous publiés à Paris, à la Documentation française, en 2000). La plupart sont disponibles en ligne sur le site de la Documentation française
- Jean Matteoli, Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France : rapport général
- Serge Klarsfled, André Delahaye, Diane Afoumado, La spoliation dans les camps de province
- Annette Wieviorka, Les biens des internés des camps de Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande
- Arthur Prost, Rémi Skoutelsky, Sonia Etienne, Aryanisation économique et restitutions
- Claire Andrieu, Cécile Omnes, La spoliation financière, 2 volumes
- Claire Andrieu, Serge Klarsfeld, Annette Wievorka, La persécution des Juifs de France : 1940-1944 et le rétablissement de la légalité républicaine, Recueil des textes officiels : 1940-1999(cet ouvrage existe aussi sous forme de cédérom)
- Caroline Piketty, Christophe Dubois, Fabrice Launay, Guide des recherches dans les archives des spoliations et des restitutions
- Annette Wieviorka, Floriane Azoulay, Le pillage des appartements et leur indemnisation
- Yannick Simon, La SACEM et les droits des auteurs et compositeurs juifs sous l’occupation
- Isabelle Le Masne de Chermont, Didier Schulmann, Le pillage de l’art en France pendant l’occupation etla situation des 2000 oeuvres confiées aux Musées nationaux.
Il est donc nécessaire de constater qu’aucune recherche n’a été entreprise sur le circuit notarial suivi par les biens des personnes juives. Une occasion de perdue tant pour les victimes que pour l’État français de détecter cette montée en puissance de la corporation grâce au régime de Vichy. Montée en puissance à ce jour sans égale dans le milieu des auxiliaires de justice qui devraient en principe intervenir à égalité.
A l’heure actuelle, donc le livre de Vincent Le Coq et Anne-Sophie Poiroux n’est pas qu’un livre d’histoire.
Un commentaire actuel parmi des milliers d’autres recueilli sur un site dédié au notariat :
« marigold06/11/2015 17:36
Je salue très haut personnellement l’arrivée de l’ouvrage de Vincent Le Coq et de Anne Sophie Poiroux.
Un point est à mettre à jour cependant pour permettre à l’ensemble de nos concitoyens d’ ouvrir grand les yeux : la corruption et la spoliation au sein du notariat français n’ont pas connu d’interruption…l’ Histoire contemporaine le montre !. De mèche avec banques et compagnies d’assurance privées cette fois.
Comme moi, bon nombre d’autres « clients » de notaires, et ayants-droits de titulaires et souscripteurs décédés peuvent témoigner personnellement que la spoliation de biens et autres détournements de fonds successoraux par des banques privées de connivence avec les notaires passés maîtres en ces oeuvres, sont en train de se dérouler ici en France, depuis des années.
Question : sur quoi reposent un détournement de successions ou d’avoirs inactifs et contrats d’assurance vie dans le cadre de successions par une banque commerciale ou une compagnie d’assurance privée si ce n’est sur l’appui du professionnel exerçant l’activité de notaire qui dispose des pleins pouvoirs de dissimuler ou non, des informations, des contenus de coffres-forts notariaux…et j’en passe….aux héritiers ?
Cela se passe au vu et au su des instances corporatistes notariales, de la Chancellerie qui font en sorte de faire disparaître les courriers de recours. J’en atteste.
Quant à la DGCCRF, quant à la CDC ( ne dépendent-elles pas du Ministère de l »Economie ? ), elles se disent tout à coup démunies, incompétentes, n’ayant pas de règles de fonctionnement leur permettant de procéder aux contrôles !
Des relents qui subsistent dans les comportements depuis l’Occupation ?
Fichtre, c’est çà que la France est en train de devenir ? ou n’a pas cessé d’être ?
En lisant cet ouvrage de référence, comme vous l’envisagez, vous ne serez pas déçu : eu égard à la qualité de sa rédaction et aux innombrables références aux documents originaux examinés (il s’agit d’un travail absolument considérable), vous y trouverez les réponses à votre questionnement sur l’organisation mise en place pour le déploiement de la persécution des juifs (« j » minuscule dans le texte, avec toutes les explications nécessaires) et de son volet plus spécialement « notarial », l’ « aryanisarion économique ». «
Les notaires sont pour la toute première fois épinglés par l’Histoire au regard de leur statut mais certains d’entre eux refusèrent d’être impliqués avec Vichy comme l’a courageusement illustré La Fédération des Notaires Ruraux.